Octobre 1906 : une émeute du public embrase Longchamp

 

Qu’on se le dise : à force de jouer avec leurs émotions, les turfistes ont parfois le sang chaud. Comme lors de cette réunion du 14 octobre 1906 lorsqu’un faux départ déchaîne la colère des parieurs, jusqu’à déclencher une émeute à Longchamp qui fera date dans le monde des courses. Avec une série de photos signées Branger et le journal Gil Blas du lundi 15 octobre 1906, revenons sur les événements qui ont littéralement enflammé l’hippodrome.

Nous voilà donc dimanche 14 octobre à Paris, et la journée s’annonce pourtant bien d’après le quotidien : le programme des courses est intéressant, les enceintes sont bien garnies, et le temps, sans être brillant pour la saison, est largement supportable. Un tableau qui frise la perfection, jusqu’à ce que la 3ème course ne mette le feu aux poudres…

 

 

C’est un disfonctionnement de la machine qui entraine un mauvais départ dans la 3ème, mais le starter à la manœuvre, qui n’est alors que postulant starter, décide de ne pas annuler le départ. La confusion règne parmi les jockeys qui croient eux-mêmes à un faux départ mais Bellhouse, voyant le second drapeau baissé, signe de la validité du départ, prend le parti du starter et s’élance. Il est suivi par une grande partie de ses concurrents, hormis deux chevaux qui s’arrêtent au bout de cent mètres et qui, voyant leur erreur, rentrent au pesage. La course se dispute sous les protestations de la foule, et des huées accueillent le starter. Mais le mal est fait. L’écart s’est creusé dès les premiers instants du départ litigieux : Bellhouse sort victorieux et l’orage redouble de violence.

Partout on réclame « démission » et « remboursement ». Tandis que l’excitation devient inquiétante à la pelouse et au pavillon, le pesage lui-même gronde et on assiste assez rapidement à son envahissement. Le  service d’ordre insuffisant est débordé et ne parvient pas à contenir la foule : les manifestants vont le long de l’enceinte des balances réclamer le remboursement à grand renfort de jets de pierres. Des incidents sans gravité en comparaison de ce qui se déroule au même moment sur la pelouse : les baraques du Pari Mutuel sont renversées et avec des bidons de pétrole, saisis on ne sait où, le feu éclate un peu partout. Les incendiaires finissent par prendre pour cible le pavillon central et le petit bois. Comme la police et les commissaires de course sont impuissants, quelques caissiers qui tentent de sauver leurs caisses sont également dévalisés, mais les montants volés restent bien moins importants que les dégâts matériels.

 

 

Voilà pour un aperçu de l’ambiance. Le quotidien Gil Blas écrit que les conséquences de l’incident sont graves : « la foule a eu le dessus et elle recommencera » peut-on lire. Mais le quotidien pointe surtout du doigt le Pari Mutuel, coupable selon lui d’avoir « vulgarisé le jeu des courses, le rendant quasi officiel, et permettant à ceux qui n’en ont pas les moyens de perdre le peu qu’ils ont pour vivre et faire vivre leur famille ». Quoiqu’il en soit le photographe Branger, souvent dans les bons coups, a pu capturer quelques instants de ce dimanche plutôt chaud. Pour le plus grand plaisir des amateurs de faits divers, ils ont été édités dans la foulée par Neurdein Photo.

Et les mines amusées des spectateurs qu’on voit poser autour des baraques en feu ont presque de quoi faire regretter les absents…